Dialogue de sourds entre Loedi et Victor-Hugo

Lors d’un dimanche de janvier ensoleillé, Loedi s’installe dans le jardin du musée Rodin face à l’imposante statue de Victor Hugo.

Quand soudain, cette dernière se met à parler…

« – Que fais-tu Loedi ?

⁃ J’essaie de vous dessiner Monsieur Hugo.

⁃ Ce n’est pas très ressemblant.

⁃ Mais je leur ai dit que je ne sais pas dessiner les sculptures…

⁃ Ne pouvais-tu pas choisir un autre modèle ? Pourquoi moi si c’est pour mal me dessiner ?

⁃ C’est à dire… les marches devant-vous me permettent de m’asseoir et de m’installer confortablement…

⁃ Quelle effrontée ! Moi qui pensais que c’était pour me faire honneur, par admiration pour ma personne et mon œuvre !

⁃ Pardon…. Oui bien sûr ! Ne vous fâchez pas Monsieur Hugo, il n’est finalement pas si mal mon dessin, regardez !

⁃ Hum… c’est quoi ce fond coloré que tu as mis derrière nous ?

⁃ Ce sont les décors du défilé Dior qui a eu lieu dans le jardin du musée: de grandes broderies réalisées par des artistes indiens où l’on retrouve Shiva et …

⁃ Shiva ? Connais pas… mais j’aime bien les couleurs. Pourquoi tu ne m’as pas mis des couleurs à moi ?

⁃ Parce que vous êtes tout de marbre Monsieur Hugo… de marbre blanc.

⁃ Je veux des couleurs.

⁃ Sur le dessin ? Mais…

⁃ Bien sûr que non…. Je veux des couleurs là en vrai ! Peins-moi ! J’en ai assez d’être en blanc ! Prends tes couleurs et mets toi au travail tout de suite !

⁃ Mais… je ne peux pas… c’est interdit !

⁃ Interdit ? M’interdire à moi le grand et célèbre Victor Hugo ? Quel affront ! J’exige des couleurs tout de suite !

⁃ Mais….

⁃ Des couleurs ! Arrête de répondre et mets toi au travail !

⁃ …

⁃ Loedi ? Où vas-tu ? Reviens tout de suite ! Loedi ? Loedi !!! Je veux des couleurs ! Reviens ! Loedi !!! »

Mais où sont passées les aiguilles ?

« Les allers et venues des trains se sont tues. Il y a bien longtemps qu’un voyageur n’a pas levé ses yeux vers mes aiguilles alors…. À quoi bon les garder ?

Pourquoi et pour qui devrais-je continuer à donner l’heure ?

Non, non… ici le temps s’est arrêté et mes aiguilles ne sont que le souvenir d’un temps perdu à jamais. Autant les oublier elles aussi.

Aujourd’hui, les visiteurs ont remplacé les voyageurs et au lieu de courir après le temps, ils viennent en perdre la notion en déambulant d’une sculpture à l’autre.

Non, non… mieux vaut-il les laisser dans cette bulle hors du temps et ne pas les déranger. Le tic-tac incessant des pendules de la vie les rattrapera bien assez tôt. »

Extrait d’une conversation entre Loedi et l’une des horloges du musée d’Orsay.

Mais où est passée Loedi ?

Une cabane de berger en pierre sèches avec une couverture de laine en guise de porte… un petit poêle à bois auprès duquel Choco et Loedi se réchauffent et préparent leur repas, un duvet à même le sol… et c’est tout.

Ce matin, les rayons du soleil sont restés cachés derrière un océan de nuages. Le vent se déchaîne et les collines se retrouvent bientôt enveloppées d’un manteau cotonneux et blanc.

C’est alors que tombent les premiers flocons. Timidement au début, ils laissent rapidement la place à une véritable tempête de neige.

Loedi sort dehors et accueille le vent, la neige, la tempête. Elle reçoit en elle toute cette énergie, cette force sauvage qui emporte avec elle toutes les blessures passées et l’imprègne d’une force nouvelle.

Revigorée, l’âme apaisée et réconfortée, Loedi ressent à nouveau dans chaque parcelle de son être combien la vie est belle…